Face à la peur, l'humanité partagée
Des mots venus du coeur de personnes en chemin
Dans un monde traversé par des crises multiples - guerres, urgence climatique, difficultés économiques et inégalités sociales croissantes-, la France vit une période électorale marquée par les tensions, l’animosité et l’inquiétude.
Nous, femmes et hommes de bonne volonté qui appelons à un monde plus solidaire, tolérant, sentons bien que, face à ces enjeux, notre monde intérieur est ébranlé. C’est peut-être aussi le cas du vôtre et c’est naturel.
Notre système d’alarme émotionnel s’active et nous ressentons souvent de la peur et de la colère. Bien que ces émotions aient leur place car elles nous informent du danger et des obstacles qui se dressent entre nous et notre vision du monde, elles nous font néanmoins courir de graves risques lorsque nous nous laissons diriger par elles. Il est essentiel de renforcer le sentiment de notre humanité commune en ces temps d’incertitude.
Emporté·es par la peur, nous pouvons tomber dans l’impuissance ou adhérer aveuglément à tout ce qui semblerait à même de la faire disparaître. Nous devenons la proie de discours simplistes qui favorisent le recours à une figure autoritaire qui rassure (l’histoire comme l’actualité regorgent d’exemples de ce recours à l’homme providentiel et des catastrophes qui s’ensuivent). Cela tend aussi à nous faire nous replier sur notre groupe d’appartenance et à stigmatiser ceux et celles qui sont différent·es : la personne d’une autre origine, le ou la réfugié·e, ceux et celles qui ont une appartenance religieuse, de genre ou autre, différente de la nôtre.
Quand la colère nous consume, nous perdons toute capacité à distinguer les nuances et la diversité des perspectives qui peuvent nous être offertes. Nous nous polarisons et percevons les personnes différentes de nous comme appartenant à « l’autre camp ».
À cause de notre tendance naturelle au biais de confirmation renforcé par les algorithmes du monde virtuel, notre sélection des informations correspondantes à nos croyances préexistantes nous amène à confondre notre vision du monde avec la réalité. Nous tombons fréquemment dans l’illusion de la connaissance, alors que toute forme de connaissance valide nécessite un examen approfondi et une saine rigueur intellectuelle.
La recherche scientifique confirme ce que les sagesses millénaires nous enseignent : il existe des antidotes à cet état de fait, qui ont le pouvoir de nous rendre plus lucides et de vivre dans une forme d’espérance active.
Premièrement, nous pouvons apprendre à reconnaître et comprendre les émotions qui nous traversent, afin de ne pas être dirigé·es par elles.
Ensuite, nous pouvons également être davantage centré·es et connecté·es à nos valeurs.
Au-delà des idéologies, des croyances et des conditionnements, nos valeurs sont souvent beaucoup plus communes que nous pourrions l’imaginer : vivre en paix, en sécurité, en dignité, ressentir la puissance des liens avec les autres.
Troisièmement, reconnaître que tous les points de vue, y compris le nôtre, sont limités, nous permet de nous ouvrir à la multiplicité des perspectives. Cela demande de l’humilité intellectuelle car pour ce faire nous devrons nous rappeler que nous ne possédons pas la vérité, et accepter que tout puisse changer, y compris nos certitudes, nourrissant ainsi notre capacité à faire des compromis.
Agissant ainsi, nous nous offrons l’occasion de contempler ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous sépare.
Nous sommes alors moins à risque de déshumaniser l’autre, quel qu’il soit. Plutôt que de penser en priorité à conserver ou acquérir des privilèges, nous pouvons imaginer un monde juste qui inclut les personnes plus fragiles et qui prend en compte la planète qui nous accueille tous et toutes.
Enfin il y a ce que l’on peut appeler « l’action engagée » : une action qui embrasse nos peurs, nos colères et nos doutes, dirigée par l’envie de servir l’essentiel.
L’on parle souvent de la méditation comme d’une pratique incarnée, qui se vit dans l’expérience. Comment servir avec lucidité nos orientations fondamentales dans un moment comme celui-là ? Comment incarner, lors de ces élections, le courage, l’amour, l’interdépendance, la paix, le soin, le respect, la générosité, le partage, l'ouverture et la solidarité dont on parle si souvent dans les sagesses ancestrales, la philosophie et la méditation ?
Au crépuscule de notre vie, au-delà de toute leçon ou morale facile, ce qui comptera, c’est comment nous aurons vécu, tissé des liens et aimé. Comment nous aurons protégé le monde dans lequel nous voulons vivre, où nous avons été et redeviendrons vulnérables. Et cela, nous pouvons toutes et tous, dans le contexte de cette élection, l’incarner dès aujourd’hui.
Respirer, se lever et aller voter.
Au-delà de nos privilèges personnels, au-delà des intérêts individuels à court terme, des égoïsmes et des préjugés et certitudes forgées par nos tendances habituelles. Même si rien n’est parfait , exprimons par notre voix ce que nous pensons être le meilleur chemin vers un monde solidaire.Pour soi, et pour plus grand que soi.
Premier·es signataires (par ordre alphabétique)
Yan Arthus-Bertrand, photographe
Martin Aylward, enseignant bouddhiste et fondateur du Moulin de Chaves
Solène Beaudet, violoncelliste
Julien Brocal, pianiste et compositeur
François Bourgognon, psychiatre et auteur
Cloé Brami, médecin cancérologue et docteure en psychologie
Odile Chabrillac, autrice
Thomas d’Ansembourg, auteur et formateur international en communication non-violente
Noémie de Lattre, artiste
Carole Fantini, professeure de psychologie
Isabelle Filliozat, autrice, psychothérapeute spécialiste de l’éducation
Patrice Gourrier, prêtre catholique et psychologue
Catherine Gueguen, pédiatre et autrice
Mai Hua, artiste et réalisatrice
Latifa Ibn Ziaten, militante pacifiste
Éric Julien, fondateur de l’association Tchendukua
Ilios Kotsou, docteur en psychologie
José Le Roy, philosophe
Marianne Leenart, autrice et enseignante de méditation
Caroline Lesire, autrice et militante féministe
Candice Marro, ostéopathe et directrice programme Peace éducation
Christophe Massin, psychiatre et auteur
Magali Payen, activiste
Matthieu Ricard, auteur, photographe, moine bouddhiste
Florence Servan-Schreiber, autrice et professeure de psychologie positive
Dominique Steiler, Professeur des Universités
Suzanne Tartière, médecin co-fondatrice du SAMU médical
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