La méditation rend-elle meilleur ?
"La méditation rend-elle meilleur? La réponse est très simple : Vous allez devenir meilleur dans ce que vous faites. Que faites-vous? "
Edel Maex publie régulièrement de très beaux textes sur son blog. Grâce à l'aide généreuse de bénévoles, nous avons entrepris de les traduire en français afin d'en faire profiter un plus grand nombre.
Merci à Bénédicte qui a traduit ce billet, dont le sujet résonne particulièrement en cette période de bouleversements...
La méditation rend-elle meilleur ? C'est une question qui m'a été posée à plusieurs reprises.
Une réponse immédiate pourrait être: la méditation n'a pas de but. Il n'y a rien à atteindre ou à ne pas atteindre. D'un point de vue absolu ou non-duel, c’est certainement vrai. Mais il est un peu trop facile d’abuser de la perspective absolue pour se soustraire aux questions difficiles de la réalité conventionnelle ;-)
Ce qui est sûr, c'est que la méditation a un impact sur les personnes qui la pratiquent. Mais ce qui m'a longtemps étonné dans ce domaine, c’est de constater combien ces effets peuvent être différents. Au fil des ans, j’ai vu beaucoup de gens s’adoucir, mais j'en ai vu d'autres se durcir. Pour certains, j'ai vu plus de respect de soi, chez d'autres un sentiment croissant d'échec. Certaines personnes devenaient plus accessibles, d'autres inaccessibles, certaines plus impliquées, d'autres indifférentes.
Ce qui m'a également surpris, c'est que quand deux personnes disent, « je fais du zen», cela ne veut absolument pas dire qu'elles font la même chose. Dans les premières années, je pensais ainsi : «la méditation, c'est ...» et quiconque complétait cette phrase dans un sens différent du mien, n'avait rien compris. Cela ne fonctionnait pas, alors j'ai réduit à: « le zen, c'est ...», mais cela ne fonctionnait pas non plus. Et la phrase : « la pleine conscience est l'essence de la méditation bouddhiste » était peut-être correcte en théorie, mais, en pratique, elle n'a aucun sens parce que tant la « pleine conscience » que la « méditation bouddhiste» sont des termes qui semblent couvrir des réalités très différentes.
Et il y a même des traditions qui ne pratiquent pas du tout la méditation, même dans le zen. Lorsque deux moines chinois du monastère mère de la Mahakaruna Chan participèrent à une sesshin à Steyl, il apparut que c'était la première fois qu'ils pratiquaient quelque chose de ce genre.
Le Pali et le Sanskrit semblent ne pas avoir un terme unique pour la méditation. Il y a plusieurs termes qui sont traduits par le terme « méditation ». Un de ces mots est bhavana. La traduction de bhavana en « méditation » trahit notre préjugé culturel. Bhavana est dérivé du terme « bhava », et cela signifie quelque chose comme «faire naître». On pourrait le traduire par «cultiver».
Dans le Canon Pali, il y a cette belle histoire de deux ascètes qui cherchent le Bouddha (MN 57). Le premier a, comme pratique ascétique, le vœu de se comporter comme un chien, l'autre comme une vache. Leur question au Bouddha est de savoir comment ils renaîtront. L'idée sous-jacente est bien sûr que l'ascétisme extrême efface le karma négatif et conduit à une naissance plus élevée. Dans un premier temps, le Bouddha ne veut pas du tout répondre à leur question, mais ils insistent. Le Bouddha répond que s'ils mènent leur pratique de vie comme un chien ou une vache à la perfection, alors ils renaîtront comme un chien ou une vache. Le mot utilisé ici est bhaveti, un verbe dérivé de la même racine que bhavana. Cependant, ajoute le Bouddha, s'ils le font avec la vision erronée qu'ils renaîtront dans le monde des dieux, ils renaîtront dans l'enfer. Les deux ascètes en sont dépités. Le Bouddha conclut sa réponse avec une explication sur le karma.
Cette histoire illustre très bien la façon d'enseigner du Bouddha. Il ne rejette pas la vision du monde de ses auditeurs mais il la modifie. Le message est comme toujours très pragmatique : « ce que vous faites, vous le cultivez ». Et donc : « Faites ce que vous voulez cultiver. »
«Je fais du zen», ou «je médite » n'a pas beaucoup de sens. La question est : « Que faites-vous sur votre coussin? Que cultivez-vous exactement? » Et : « Que voulez-vous cultiver, sur votre coussin et au-delà ? » Ce sont des questions auxquelles vous seul pouvez répondre. Personne d'autre ne peut savoir ce que vous êtes effectivement en train de faire. Le principe est simple : vous récoltez ce que vous semez.
Le Bouddha ajoute à sa réponse une tournure particulière. S'ils pratiquent leur ascétisme à partir du point de vue erroné qu'ils vont renaître dans le monde des dieux, alors ils renaîtront dans l'enfer. Le Bouddha n'est pas moins pragmatique ici. En vous tourmentant vous-mêmes à partir de fausses hypothèses religieuses, dans l'attente d'aller au ciel, vous faites de votre vie un enfer. La vision erronée dans ce cas est de supposer que, par miracle, vous allez récolter autre chose que ce que vous semez.
Je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui a commencé à méditer avec l'intention de renaître dans le monde des dieux. C'est une forme de superstition typique de l'Inde à l'époque de Bouddha. Une superstition occidentale plus contemporaine est que, grâce à notre pratique, nous allons miraculeusement atteindre l'illumination. Le principe est le même : l'illusion que vous allez récolter autre chose que ce que vous avez semé. Cela crée un enfer de frustration sans fin. Et cela sera d'autant plus grave que vous vous serez créé l'illusion, à un moment donné, de « l' »avoir atteint.
Une autre illusion courante est l'idée que la sagesse - qui vient de la méditation - mène automatiquement à l'éthique et que l'éthique ne devrait donc pas être explicitement pratiquée. Norman Fischer mentionne comme un grand manque dans le zen japonais le fait qu'il n'y ait pas un enseignement explicite sur la compassion. Mais, sur ce point, le zen n'a pas le monopole sur le découplage entre la sagesse et l'éthique.
« Vision erronée » est la traduction de micchaditthi. Cela contraste avec la « vision juste », 'sammaditthi', qui est le premier élément du Sentier Octuple. Chaque élément du sentier est précédé par le terme « samma ». Nous traduisons « samma » comme « juste », c'est un terme qui vient de la musique. « Samma » signifie « harmonieux ». Les éléments du sentier sont seulement justes dans la mesure où ils sont harmonieusement accordés les uns aux autres. Les trois groupes du Sentier Octuple: l'éthique, la méditation et la sagesse (sila, samadihi, prajna) forment un ensemble harmonieux. La sagesse détachée de l'éthique n'est donc plus « sammaditthi » mais « micchaditthi ».
Il est illusoire de penser qu'une vision ou une pratique est concevable sans éthique. Même si vous n'explicitez pas l'éthique, elle est là. La question est : « laquelle ? » L'exemple classique est le rôle du Zen dans la Seconde Guerre mondiale au Japon, où il a été utilisé entre autres pour former les pilotes kamikazes. La pratique du Zen reposait sur la conscience de l'illusion du soi et la compréhension de la non-dualité. Ce ne fut pas sans éthique, au contraire, non-soi et non-dualité signifient ici devenir un avec la nation et la famille impériale. Ce ne fut pas une éthique de la compassion, mais une discipline de mort dans le sens le plus littéral du mot. On peut parler ici de « micchaditthi ». Donc, si vous avez une pratique où l'accent est mis sur la sagesse, continuez à vous poser la même question: «Qu'est-ce que vous cultivez exactement". Et « Y a-t-il harmonie entre la sagesse et l'éthique implicite ou explicite de celles-ci »? '
Cela vaut tout autant pour la pratique de la mindfulness. Voilà pourquoi, au début, j'ai qualifié la pleine conscience comme « l'attention ouverte et bienveillante ». Même dans le cadre d'un programme en huit semaines dans un hôpital, il est important de veiller, dès le départ, à l'harmonie entre l'éthique, la méditation et la sagesse. La méditation rend-elle meilleur? La réponse est très simple: Vous allez devenir meilleur dans ce que vous faites. Que faites-vous?