Histoires d'émotions
Certainement vous êtes-vous déjà senti·e euphorique ou irrité·e ; sans doute avez-vous parfois été happé·e par la surprise ou la panique; vraisemblablement avez-vous un jour ressenti les papillons de l’amour dans le ventre ou eu l’estomac noué à l’approche d’une échéance.
Qu’elles nous soient agréables ou exécrables, les émotions nous font nous sentir vivant·es. Elles colorent nos vies, nous submergent, nous traversent dans toute leur diversité. Elles font l’objet d’un intérêt passionné depuis une trentaine d’années.
L’équilibre émotionnel et le bien-être sont même devenus un objectif des pouvoirs publics de certains pays, comme le petit royaume himalayen du Bhoutan avec sa politique du Bonheur national brut.
L’historienne de la culture Tiffany Watt Smith, dans son « Dictionnaire des émotions » (Zulma Essais), en a éclairé pas moins de 154 d’entre elles. Certaines nous sont bien connues (comme l’espoir ou la colère); d'autres ont disparu de nos radars (comme l’acédie, ce mélange d’apathie et de désespoir des premiers chrétiens), d'autres encore sont apparues récemment dans notre quotidien (comme l’angoisse de la sonnerie du portable ou le technostress qui nous rend dingue quand l’ordinateur bugge); elles nous viennent aussi d’autres horizons (comme la Wanderlust, ce plaisir d’arpenter le monde, ou l’iktsuarpok des Inuits, cette impatience fébrile de voir arriver ses invité·es). A la lecture de cet essai passionnant, on comprend en tous cas qu'elle sont en tout cas bien plus que des « étincelles biochimiques » issues de notre cerveau.
A l’approche du voyage au coeur des émotions auquel vous emmènent les Journées Emergences les 4 et 5 octobre prochains, la journaliste Sabine Verhest a feuilleté pour nous ce livre original qui mêle psychologie et histoire, philosophie et anthropologie, pour comprendre « les différentes façons qu’ont nos corps d’habiter le monde » et « le monde humain de nous habiter en retour ».
Il fut une époque où l’on pouvait éprouver des « passions », des « accidents de l’âme », des « sentiments moraux », provoqués par des « vents mauvais » ou des « malfaisants démons », relate Tiffany Watt Smith. Une époque où même les palmiers pouvaient succomber aux charmes de l’amour !
Si les savant·es, de la Grèce Antique à la Renaissance, se sont penché·es sur l’influence du corps sur les passions, « l’idée moderne d’émotion » a exalté le théoricien de l’évolution Charles Darwin, qui s’y est intéressé d’un point de vue biologique, jusqu’à s’étudier lui-même. Elle a également creusé les méninges de Sigmund Freud, selon lequel la compréhension des « tonalités de sentiment » passe par la psyché, le cerveau, le jeu de l’inconscient.
Mais il faudra attendre les années 1960 et 70 pour considérer que la culture, elle aussi, imprègne nos émotions, si bien que ce que l’on peut ressentir là-bas se révèle insignifiant ici. L’historienne remarque ainsi que les Pintupi d’Australie peuvent éprouver quinze sortes de peur, pendant que les Matsigenka du Pérou ne disposent pas de mot pour exprimer l’inquiétude. Si tout le monde, en tout lieu, ne ressent pas les émotions de la même façon, Tiffany Watt Smith montre également que l’on n’envisage pas ses passions et sentiments de la même façon à travers le temps.
Les auteur·ices du XVIe siècle, par exemple, encourageaient leur lectorat en quête de développement personnel à être tristes, alors qu’aujourd’hui, on exhorte plutôt au bonheur. On le comprend, « les significations que nous conférons à une émotion (…) décident de notre manière d’accueillir un sentiment ou une sensation, avec délectation ou avec appréhension, en la savourant ou en en concevant de la honte ».
Pour reprendre l’exemple de l’anthropologue Clifford Geertz, c’est ce qui fait toute la différence entre la contraction de paupière et le clin d’oeil !
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